REPRESENTATION MATTERS!
Adama Paris parle avec Katharina Krawczyk de la déconstruction du colonialisme, de la force politique des vêtements et du future de la mode africaine.
KATHARINA KRAWCZYK: Adama Paris, votre nom sonne comme un message.
ADAMA PARIS: C´est un petit clin d’œil à Paris, c’est là où je me suis construite autant que femme.
KK: Vous avez créé la Dakar Fashion Week en 2002. C’était la première Fashion Week en Afrique à l'époque. Quelle était votre motivation ?
AP: J’étais jeune, j’avais plein d’idées,je voulais changer le monde et parler de la mode africaine. J’étais très idéaliste et je le suis encore d’ailleurs. Aujourd´hui il y a 38 Fashion Weeks Africaines qui font partie de la African Fashion Federation que j’ai créé il y a quatre ans.
KK: Quels sont les critères pour participer à la Dakar Fashion Week?
AP: Une belle collection avec des matériaux le plus durables possible. C’est un événement panafricain ouvert aux créateurs de tout le monde qui met l' accent sur les ressources locales et promotion d’artisanat africain.
KK: Vous avez aussi initié la Black Fashion Week que vous avez renommé plus tard au Black Fashion Experience. Quel est le propos de ce projet?
AP: Pour moi la mode est une forme d’expression culturelle. J’étais frustrée en tant que Française Afropolitaine à ne pas pouvoir avoir de show à Paris et j’ai reproché à la Fashion Week française qu’il y manquait d’inclusion. À chaque fois qu’on voulait faire un defilé on était refusé en disant que notre projet soit anti-blanc. Notre slogan est : it’s not about colour, it’s about culture. On n’a pas besoin d’être noir pour aimer la culture noire car celle ci ne se transmet pas forcément par des gens noirs;, la preuve ce sont Eminem ou Justin Bieber. Je veux que les gens viennent pour vivre une expérience avec nous au-delà de la mode. C’est pour ça que j’ai changé le nom de Black Fashion Week à Black Fashion Experience. On a commencé à Prague, on était à Montréal dans une église catholique puis à Paris en place Vendôme, car je ne veux pas qu’on nous ghettoïsse parce qu’on est des noirs. Donc oui, pour moi la mode c’est une plate-forme où on mélange toutes les expressions artistiques et corporelles liées à la mode. Black Fashion Experience ce n’est pas un défilé qui dure 15 minutes, c’est une expérience d’une heure d’art collective. Je trouve ça plus intéressant et ludique. Je veux défaire l'idée que la mode doit être d’une certaine manière et montrer une mode qui rassemble les différences en étant fière de cette culture noire.
KK: Qu’est-ce que c’est la culture noire pour vous?
AP: C’est la musique, c’est l’art de Basquiat, c’est plein de choses qu’on utilise et qu’on a oublié les origines. Pour moi, representation matters. Comme enfant j’ai vécu dans les endroits où j’étais toujours la seule noire. J’étais bien éduquée, mais j’avais toujours cette frustration, comme beaucoup d’immigrés je pense, de venir chez moi et de voir tout ce qui s’origine par ailleurs et n’a pas d’écho. Je suis persuadée que peu importe ce qu’on utilise de n’importe quelle culture, il faut y donner crédit.
KK: Donc votre motivation n’est pas forcément esthétique mais plutôt politique ? Est-ce que la mode a une force activiste politique?
AP: Complètement ! Pour moi la mode c’est un prétexte pour mon engagement auprès des femmes, de la sustainability et de la slow fashion scene. Je ne veux plus laisser les gens parler à ma place. On a créé tout un écosystème pour pouvoir prendre la parole, pour dire les choses qui nous semblent importantes. Je suis une capitaliste socialiste de nécessité : j’aime faire de l’argent mais j'aime le faire en faisant du bien. De faire slow fashion ce ne veut pas dire créer moins ou faire moins d’argent, c’est juste de travailler différemment. Au Sénégal les gens allaient avec leur tissu chez le couturier pour qu’il leurs fasse une tenue. Il y avait toujours quelque chose à soi, une identité au-delà du bling-bling liée à la culture, à l’ethnie et à la tribu. Donc je n’ai jamais vécu la mode en tant qu’ européenne car il y avait toujours un mélange. qui fait en sorte que je comprends que les gens comme moi n’ont pas envie de gagner 1 million d’euros en faisant cent millions de fois la même chose.
KK: Pour quel but faut-il se battre encore aujourd’hui?
AP: Pour un monde meilleur ! En Allemagne vous en rendez même plus compte de la chance que vous avez. L’Europe verse des tonnes de vêtements sur nos plages. Vous y trouverez de Zara, H&M ou d’autres marques, mais pas des créateurs africains. Nous avons une conscience de la sustainability qui ne se limite pas aux tissus durables, mais est aussi un mode de vie. Je fais vivre le tailleur, le tailleur fait vivre sa mère ou ses enfants. C’est ça le capitalisme utile. En termes d’élégance je pense que les africains s’habillent extrêmement bien avec beaucoup moins des moyens car ils ont une façon de consommation plus saine depuis longtemps. La mondialisation et la modernisation font des jeunes Africains des jeunes américains. Il faut qu’on se batte pour conserver les belles choses, pour ne pas être comme vous dans cette société de consommation inutile et complètement futile.
KK: Vous avez parlé du marché second hand. Plus de 80% de la population africaine porte ces vêtements qui arrivent chez vous de tous les pays du monde. Comment jugez-vous ce développement?
AP: Je suis mitigée. Quand je me mets dans la peau d’un africain, qui habite ici et qui peut facilement avoir un jean Levis, je comprends. Il y a une économie parallèle qui vit de ça. Donc ce capitalisme tranchant est en train de détruire notre façon de faire, qui était écologique et qui était bien. Pourquoi n'utilisez-vous pas ces vêtements ? Pourquoi vous les jetez chez nous comme dans une poubelle ? Pourquoi ne pas les recycler? Il y a des pauvres en Europe. C'est parce que vous pouvez en tirer encore un profit. Et si les gens ici n'avaient pas ces vêtements second hand de chez vous, ils allaient s'habiller comme ils le faisaient avant et notre économie allait marcher. Cela fait une compétition inégale à la création africaine. 99% du coton africain est inaccessible pour les Africains car il est exporté dans le monde entier et il est trop cher pour y accéder pour nous pourtant que l’Afrique est elle aussi complice pour soutenir ce système inégal.
KK: Les colonisateurs vous ont imposé une certaine manière de penser, de vivre, de vous habiller. Et maintenant il faut dé-apprendre, dé-construire?
AP: On ne peut pas construire sur quelque chose qui n`est pas bon. De dire que d´être mince c´est joli, que d´avoir des fesses c`est terrible ; plein des petites choses qui font que les filles ne s’acceptent plus. Il faut qu'on dé-construise ce que les colonisateurs nous ont mis dans la tête. Les jeunes grandissent en pensant que c`est ça la réalité, alors que c'est quelque chose qu'on nous a implanté pour tout simplement des fins capitalistes. Quand l´Allemagne vient avec le Goethe-Institut c´est pour prendre du terrain. Tous ces gens aident, parce qu´ils ont besoin de quelque chose. Et cette jeunesse est biberonnée à des conneries. Les jeunes ici pensent toujours qu´il faut avoir quelqu´un blanc derrière soi pour avoir du succès. Toutes les représentations dans la mode qu´on a, sont des représentations européennes. Je pense que dans les prochain 20 années on va se battre pour changer des narratives.
KK: Comment cette déconstruction peut-elle avoir place dans la vie quotidienne, dans votre travail?
AP: Representation matters! C´est d´être l´exemple de ce qu´il faut faire. Ça peut être énervant pour les gens qui pensent qu'on parle de la couleur quand en effet on parle de culture, d'identité, de formation intellectuelle. On est noir parce qu´on vient de ce pays. La couleur ça n´est jamais était mon problème. Les gens qui m´attaquent sur ça le fontparce que c`est plus facile de parler de la couleur que de parler des problèmes réels : que l´occident, l´Europe, les blancs sont venus avec leur civilisation et l´ont dicté aux autres et ont créé l´esclavage. Ça continue, tout le monde veut un morceau du gâteau : la France, l'Amérique, l’Europe. Ce n'est pas forcément lié à la race, mais aux nécessités économiques. La France n'a pas colonisé, parce qu'elle était raciste, c'était toujours pour les biens matériels. Je ne crois pas au racisme tel quel. L´exclusion vient parce qu´on n´a pas le niveau social qu´il faut.
KK: Finalement le statut économique crée toujours le statut social?
AP: Quelqu´un riche et socialement stable sera toujours un exemple. Je ne veux pas que les gens m'amènent dans un faux débat, parce que je ne crois pas au racisme. Je ne pense pas qu´on ne m´aime pas parce que je suis noire, mais je crois qu'on ne me traite pas juste quand on ne me cite pas ou on ne me donne pas crédit. Je refuse souvent des interviews dans la presse européenne, parce que c´est toujours dans le but de servir quelque chose qui n´est pas de tout mon discours.
KK: Le savoir-faire artisanal en Afrique a une tradition très ancienne et riche qui est en accord avec l’environnement. Quel rôle joue cet héritage très précieux pour vous?
AP: J'ai voyagé dans le monde entier et il y a très peu de civilisations qui l´ont. Il y a des créateurs, qui ont montré à la Dakar Fashion Week, qui ont utilisé la teinture à l´oignon ou à l´aubergine. Le tissu que j’utilise est tissé à la main. Selon chaque pays il y a une forme de tissage, de plissage, coloriage et tout ça a une signification. Il n'y a pas un grand narratif en portant un jean, mais les choses ici ont une histoire et on aime raconter des histoires en Afrique. Moi je fais des sacs, qui s'appellent des Boyette Bags qui sont faits en bois et cuir et qui sont estampés avec des symboles différents. C´est une référence à ma grand-mère qui avait un coffre-fort ou elle gardait ces bijoux.
KK: Les objets qui circulent dans notre système capitaliste de la mode sont gommés de cet esprit spirituel et à la place chargés de l´esprit de la marque pour être mieux vendus.
AP: Je n'ai rien contre le capitalisme. C´est bien de gagner de l´argent, mais il faut bien le distribuer. Peu importe le système tant que ça permet de faire du bien.
KK: Qu'est-ce que vous comprenez par sustainability dans la mode ? Et quel rôle joue et pourrait y jouer l'Afrique dans l'avenir?
AP: En tout cas c´est pas du tout ce que l'Europe en fait. Ici en Afrique tout est recyclé, on n'a pas le choix. Bien sûr c'est important que la Fashion Week utilise des ressources durables, mais ce qui est surtout important, c´est pourquoi on consomme de la mode. Nous en Afrique on travaille depuis toujours avec des artisans et tailleurs et cela est une bonne façon de fonctionner. L'industrialisation n´est pas forcément nécessaire pour tous. La mode de luxe, c'est celle qui est faite à la main et dont en n'y a pas beaucoup. Une robe Dior coûte des centaines d'euros, parce que c´est fait à la main et parce qu'il n'y en a que quelques unes.
KK: Ou est-ce que vous voyez l´Afrique dans 20 ans dans la mode?
AP: Indépendant et précurseure. D'avoir un écosystème fort pour pouvoir produire de belles choses. Je me bat depuis des années pour créer une usine pour des produits artisanaux avec des techniques ancestrales africaines à sauver. Aussi pour déconstruire l´idée d´une usine et ce qu'on entend en Europe : ça sera un grand atelier de couture, dressage, tissage et surtout apprentissage. Je voudrais aussi faire un laboratoire technologique pour apprendre aux jeunes à mélanger des nouvelles technologies avec des anciennes. Pour l'Afrique je voudrais l'Indépendance mental, physique et monétaire car a la fin c'est l'argent qui crée les possibilités.
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